Écoutez le programme original de France Culture:

Ouessant, le vent et son sang (une transcription)

"Qui voit Ouessant voit son sang..." (Après un vieux proverbe breton)

"D’où il vient, où il va, je sais pas." (Les mots de Paul Jezequel en Ouessant, le vent et son sang)

"Assis sur un rocher où je pleurais encore le naufrage du roi mon père, cette musique a glissé vers moi sur les eaux; ses doux sons calmaient à la fois la fureur des flots et ma douleur: je l’ai suivie depuis ce lieu, ou plutôt elle m’a entraîné.—Mais elle est partie. Non, elle recommence." (Ferdinand, dans La Tempête de William Shakespeare)

J’apprends le français mais je n’ai jamais vécu en France. Pour améliorer ma compréhension j’écoute la radio et des podcasts de la France Culture en particulier. Une fois j’ai entendu l’histoire des certains évènements qui se sont produit sur l’ile d’Ouessant au large de la Bretagne. Cette histoire m’a beaucoup impressionné mais à cause de mon niveau de français et mon manque de familiarité avec certains accents et tournures de phrase, j’ai trouvé cette histoire difficile à comprendre totalement.

Donc, j’ai décidé à faire une transcription pour m’aider. Cela m’a prit quelques heures parce que j’ai dû écouter à plusieurs reprises certaines phrases en utilisant Player FM pour me faire ralentir le podcast à cinquante pourcent de vitesse et répéter des phrases difficiles (pour moi). Finalement j’ai fini avec une transcription assez imprécise et avec l’aide de mon enseignante Isabelle et de mon ami Guillaume, nous avons achevé « a fair copy » comme Dickens aurait dit.

Je suis originaire de l’île de Jersey, pas très loin de la Bretagne. En fait, mes grands-parents du côté de ma grand-mère sont arrivés à Jersey en provenance de la Bretagne (Guingamp) au XIXe siècle. De l’autre côté, la famille Kent est venue de Portsmouth au cours du même siècle pour pêcher des huîtres entre Jersey et la Bretagne. Par hasard, il y a quelques années, quelqu’un à Brest m’a envoyé une coupure d’un journal de 1907 qui parle de mon arrière-grand-oncle. C’est une histoire triste dont je ne connais rien de plus que ce qui est imprimé ci-dessous. Mais quand j’ai entendu l’émission de France Culture, le nom Ouessant a dû déclenché quelque chose dans ma mémoire.

Newspaper cutting, suicide of Captain Kent

Avant que vous lisiez la transcription, voici des liens interressants:

Ouessant, le vent et son sang, sur France Culture

Incendiaire d’Ouessant. Le long « suicide social » de Pascal Gosselin, par Hervé Chambonnière

Ouessant. Les corps de deux femmes, d’une même famille, repêchés

Les videos de Pascal Gosselin sur Vimeo exprimant son ésprit courageux et sensible

Il est possible que j’ai mal attribué les noms des interlocateurs ci-dessous. Pour faire des corrections ou pour me contacter en general, envoyez un email à ouessant@robkent.com. Merci

Rob Kent, Brighton, jeudi, 13 novembre 2019

Introduction

[Son d’un cœur battant – voix d’une femme.]

L’expérience commence.

C’est l’histoire d’une solitude, de ce qu’on attend d’une île, du vent qu’on tente de dompter et de la réalité qui vient cogner le désir de liberté. C’est un homme qui mesurait presque deux mètres. Il y a eu la tempête, quatre incendies et une disparition. Un suicide. L’homme s’est donné la mort face à la mer, écouteurs sur les oreilles. Octave Broutard est parti sur l’île d’Ouessant, Bretagne, pour recomposer l’histoire, tenter d’avancer dans l’énigme. Sur l’île, il y a quelques centaines d’habitants, des souvenirs, et des rumeurs.

Ouessant, le vent et son sang, une enquête sonore et intime d’Octave Broutard et Céline Ters, à écouter si vous le pouvez aux casques, pour s’immerger encore plus dans les éléments.

Ouessant, le vent et son sang

[Une bâche frappe dans un vent léger, son des vagues.]

01:42 [Hervé Chambonnière] On l’a retrouvé adossé à un rocher, avec des écouteurs sur les oreilles, il s’est coupé les veines et probablement poignardé.

02:06 Il y avait une vraie chasse à l’homme, je crois qu’il y avait une quarantaine de gendarmes, il y avait un hélicoptère, des tireurs qui pouvaient intervenir.

02:30 L’esprit de l’île a été touché, lui, il a tué Ouessant.

[Son du vent et des vagues]

02:58 [Paul Jezequel] Oui, on sentait de l’autre côté de l’île, de la fumée et on voyait de la fumée et on se demandait ce qui se passait d’ailleurs, et puis je l’ai su quelques heures plus tard quand j’ai vu que la police débarquait et tout ça, enfin bon, bref, que c’était un incendiaire.

03:20 Il avait la réputation quand même d’être assez violent, moi j’ai un ami qui a été un peu violenté par lui une fois parce qu’il était assez agressif et quelle connerie d’avoir fait ça aussi… Pourquoi ?

03:40 [Hervé Chambonnière] Un incendie, deux incendies, ça arrive jamais sur une île, mais bon, faire face à quatre incendies en quelques heures, c’était impossible. Et les gens évidemment ne parlaient que de ça et puis, tout le monde voulait savoir, pourquoi, mais qu’est-ce qu’il lui a pris, et c’est évident, tout le monde voulait savoir le pourquoi.

04:15 J’ai juste envie de savoir qui était vraiment Pascal Gosselin. J’ai jamais vu son visage, je sais pas à quoi il ressemble. Ah, mais c’est une ombre qui plane sur l’île.

 Annonce: Ouessant, le vent et son sang.

[Klaxon du ferry, les sons du port. Conversations radio entre les hommes d’équipage.]

05:33 [Hervé Chambonnière, journaliste] Ouessant, c’est la pointe du Finistère, c’est la pointe du continent. C’est le bout de la terre [rire].

[Musique, la guitare du « Ça Plane Pour Moi », le son des oiseaux, du vent, les goélands, des cloches, des voitures. Un moteur s’arrête ; quelqu’un frappe à une porte.]

[Bruit de clavier… « Paul Jezequel, habitant d’Ouessant »]

07:43 [Paul Jezequel] Oh, c’était une belle journée je crois, si je m’en souviens bien, oui, oui, il me semble, oui, oui. Il devait y avoir un peu de vent parce que ça a bien aidé à brûler. Plus rien ne marchait, mon téléphone qui ne marchait plus. Tiens ? Qu’est-ce qui se passe ? Et puis, on était tous en pétard contre cette andouille, ça c’est sûr. Mais bon, bien avant de savoir qu’il était mort mais après, quand il était, quand on a su qu’il était mort, ah pauvre gars. Mais voilà quoi.

08:18 Et il ne fréquentait personne, il n’y avait aucune relation, il a pété un câble, il a mis le feu partout quoi, voilà.

08:30 Sinon, cet homme-là, il faisait du kitesurf dans la baie et comme, avec un temps comme aujourd’hui et souvent plus mauvais que ça il était vraiment très fort. Là, en dehors du personnage, ce qu’il faisait au niveau du sport, donc du kite, il était vraiment balèze.  Je l’ai regardé faire, j’étais admiratif. Je l’ai suivi à la jumelle et j’ai même pris des photos de lui, je pense, et il était très doué pour ça, ouais, franchement.
D’où il vient, où il va, je sais pas.

[Accords de guitare. Porte de voiture qui claque. Un moteur s’arrête, des bruits de pas sur les feuilles sèches.]

10:04 [Iolande Botquelen] Ce que tu vois là, c’est une ruine, une maison qui a pris feu, il y a deux ans maintenant. Voilà, il reste plus que les murs. En fait je pense que ces sont les cocktails Molotov qui ont été utilisés. Beaucoup d’incendies en même temps ça faisait quand même bizarre.

[Octave Broutard] Et toi tu connais la personne qui a fait ça ?

10:34 Oui, c’était un ami à moi. Effectivement, je connais et j’ai connu et, c’est… voilà, toutes les maisons qui ont été incendiées, il y en a quatre, oui quatre, plus le standard téléphonique. Donc ces maisons n’avaient pas de d’habitants, partout c’était, ce sont des dégâts matériels mais, bon, ça s’est terminé par une mort d’homme, la sienne. C’était un douze juillet, je crois me souvenir qu’il faisait beau, oui.

[Un clavier tape… « Iolande Botquelen, habitante d’Ouessant, travaille au musée incendié.]

Alors, Pascal, c’était donc un grand garçon, grand parce qu’il devait bien faire un mètre quatre-vingt-dix, quatre-vingt-quinze, grand par la taille et grand par le cœur, et qui est arrivé à Ouessant je dirais en même temps que moi, dans les années deux mille, je pense et, donc, nous avons fait connaissance puisqu’il habitait tout près de chez moi, ici. Il louait une maison et il est venu ici je pense, attiré par l’insularité, la solitude qu’il avait l’air d’apprécier par-dessus tout, et le vent puisqu’il a essayé de dompter ce vent, des diverses façons et soit en faisant la planche à voile, après du kite il a fait, il faisait aussi beaucoup de parachutisme, donc, ensuite, faisait des petits films, voilà à grâce à ses jouets en fait, c’étaient des grands jouets.

12:25 Enfin, quand on le regardait vivre avec ses animaux, il était d’une grande douceur, dans ses propos il était, il était enfin jamais méchant envers qui que ce soit quoi, et puis pas violent.

[Son du vent et des vagues.]

13:25 [Hervé Chambonnière] Il habitait à l’écart du village. Sur Ouessant, il y a un grand village, il faut monter un peu et c’est, ça doit être sur la côte Nord, dans un petit hameau, c’est une maison qui est adossée à un garage, moi quand j’y suis allé il n’en restait absolument rien, enfin il en restait les murs quoi.

[Sons de pas sur un chemin.]

Il devait y avoir une autre habitation à coté, il y a des habitations en face et puis c’est des petits chemins et puis tout autour c’est la nature.

[Son d’une porte qui ouvrir. Voix d’un homme.]

14:28 [Jean Charne] Il avait un mental qui était différent du nôtre, quoi. Il voulait en faire un peu à sa guise, faire tout à sa guise et puis voilà quoi. Il n’aimait pas être commandé déjà, pour commencer, je pense. Et puis c’est là qu’il a réglé ses comptes. Mais en matériel. Pas aux gens.

[Musique – voix au loin.]

[Un clavier tape… « Jean Charne, l’amour, le voisin. »]

05:11 C’est, on est dans le Nord de l’île. On est entre le village de Keranchas et le village de Kergadou.

15:24 Certains disent qu’il était bien,  d’autres qui disent que c’était un sauvage.  Il parlait pas beaucoup mais, bon, il a agi. Parce que pour déjà détruire la centrale téléphonique, il fallait déjà avoir une connaissance. Et apparemment, c’était pas un imbécile. Parce qu’il savait jouer. La preuve, déjà vous, pour allumer votre barbecue, il faut une demi-heure. Lui, il a mis le feu à quatre maisons, en, vite fait, sans… Enfin, une facilité, quoi. Incroyable.

16:02 Mais bon, moi, il me disait Bonjour. Mais, bon, c’était pas plus. On parlait de la pluie et du beau temps. Mais on a jamais parlé de sujets qui fâchaient. Ces chiens, moi, j’avais eu un petit problème avec lui, bon, mais on s’est réglé, parce que j’ai dit il y avait pas de raison, quoi.

16:19 J’avais des moutons, quand j’ai dit « tes chiens, je sais qu’ils ne font pas de mal aux moutons, mais les moutons ils ont en peur », donc, les chiens ils sont inoffensifs, mais ça fait peur, là.

16:30 [Octave Broutard] Alors, qu’est-ce qui s’est passé avec la maison qui est juste en face là ?

[Jean Charne] La maison, rien, elle a pris feu, c’est un incendie volontaire quoi. Et, voilà. Pourquoi il en a eu marre ? C’est pas mon problème, je ne sais pas. Il était en colère après son propriétaire. Et il me disait « mon propriétaire, il veut me virer au mois d’avril, parce ça va passer le mois d’avril » mais lui il avait pas l’intention d’aller et ça s’est passé à quatre heures du matin, on a entendu un grand ‘boom’ et on pense, moi je pense que c’est le réservoir de la voiture qui a explosé et trente secondes après, j’ai les voisins, le grand-père, la grand-mère avec les petits-enfants qui sont venus à la porte et comme j’étais à la fenêtre en haut, j’ai dit « Oh, ici, c’est pas bon » j’ai regardé, j’ai vu les flammes partout. Et ça c’est, ça a commencé la sérénade.

17:35 Déjà le bruit des flammes. Le bruit des ardoises qui éclatent. Le goudron en fumée qui va dans la prairie. C’était une ambiance d’enfer.

[Son du vent et des flammes.]

18:20 Et on a eu de la chance, toute la fumée et tous les papiers goudronnés des ardoises, allaient dans la prairie, et comme il y avait eu la Broucaille toute l’après-midi,  le vent nous a sauvé [rire].

18:45 [Hervé Chambonnière] Quand il souffle très fort, c’est, c’est, le vent ça peut être angoissant, surtout quand il souffle fort. Il n’y a pas un vent, il y a plein de vents, il y a sans doute le vent vivifiant, il y a le vent qui fait peur, il y a le vent qui fait mal, c’est une plainte. Le vent qui hurle, les éléments qui sont déchainés, la mousse qui vole, c’est Dantesque, c’est quelque chose qui peut rendre fou, oui.

19:40 [Jean Charne] Et les gendarmes sont arrivés de bonne heure et je pense, on a entendu les hélicos sur le coup de huit neuf heures et, donc, ils étaient déjà là,  et peut-être même bien avant parce qu’ils sont discrets quand ils vont attaquer, ils disent pas « j’arrive », non, non.

[Son des vagues, un homme chante, des voix dans un bar, des rires… « Bar de la Duchesse Anne »]

21:15 [Voix d’une femme] Il avait pas réellement une vie sociale telle qu’on l’entend, il n’allait pas, il n’allait jamais dans le bar, il allait pas aux soirées. Je crois qu’il a souffert de tout ce qu’on a pu dire sur lui, alors que, voilà que lui ne parlait de personne. C’est quelque chose de difficile à supporter, je suppose.

21:50 [Voix d’un homme] Ce monsieur, je crois qu’il avait oublié payer le loyer et puis, ah, il avait quelques difficultés avec les propriétaires, alors, la chose extraordinaire c’est que la dame propriétaire et sa fille ont été retrouvées mortes dans une grève du côté nord à une heure du matin, en robe de chambre. C’est que je sais, je n’ai aucune preuve de ce que j’avance. Mais c’est quand même étonnant d’entendre de retrouver deux personnes mortes en robe de chambre à une heure du matin.

22:20 [Hervé Chambonnière] Je sais pas exactement quelle a été la nature des rumeurs mais il y en a eu semble-t-il, oui. Et puis le fait qu’il ait été catalogué, il est pas fréquentable,  il est dangereux, forcément ça, déjà, pour quelqu’un qui n’a pas de rapports, il était solitaire, il vivait aussi dans une… quelle était la part de solitude voulue et ça, j’ai pas de réponses non plus.

[Fermeture du bar. Accords de guitare. Musique de la guitare. Son de voitures. Chant du coq.]

23:30 [Hervé Chambonnière] Les premiers gendarmes arrivent avant sept heures du matin, je crois. Et la découverte du corps ça doit être vers quinze heures, non ? Je crois que c’est ça. Donc ça a duré quelques heures et là, il y a une voisine qui me raconte qu’elle a ouvert ces volets au petit matin et il y avait un hélicoptère qui s’est posé à une dizaine de mètres, ça résumait, un peu, le côté spectaculaire pour les gens. Voir cet hélico, ces dizaines de gendarmes qui étaient lancés à la poursuite de Pascal Gosselin, ça a marqué les esprits, les gens ont eu peur.

24:08 [Annick Montbailly] Quand j’ai levé le nez, j’ai vu qu’il y avait de la fumée un peu partout sur l’île. Et ensuite on voyait partout, dans tous les sens, courir des policiers en voitures, en vélos, en vélos électriques et, donc, ils recherchaient Pascal. Et, comment dire, quand le gendarme m’a dit qu’on avait retrouvé ses chiens, dans le, enfin au moins un chien, le cadavre d’un chien dans sa maison, je lui ai dit qu’ils ne le retrouveraient pas, probablement pas vivant.

25:00 [Daniel Montbailly] Bah, d’une part, moi, je dormais, j’ai été réveillé par les gendarmes qui pensaient que Monsieur Gosselin se trouvait chez nous mais, non, d’abord on était surpris que les gendarmes soient là parce que on s’attendait pas du tout un évènement comme celui-là. Néanmoins, dès l’instant qu’on a frappé à notre porte et que j’ai entendu les gendarmes venir à son sujet, je leur ai demandé de se dépêcher le trouver.

25:30 [Annick Montbailly] Oui, mais c’est moi qui me suis levée. Le matin quand ils sont venus, j’ai, il était six heures, je n’ai plus l’heure exacte mais, on entend sonner, et on se demande ce qui se passe, et effectivement j’ouvre le portail et je vois les gendarmes, la garde champêtre, et ils étaient plusieurs, ils étaient très nombreux pour me demander si nous avions vu Monsieur Gosselin.

26:00 [Daniel Montbailly] Mais il y avait le GIPN qui était là, oui.

[Annick Montbailly] Sans doute.

[Daniel Montbailly] Oui, si, si, avec des fusils. Ouais, ils étaient armés.

[Annick Montbailly] Oui, mais après, une fois qu’ils ont quitté chez nous parce que je leur ai même pas demandé ce qui s’était passé.

[Daniel Montbailly] Ah mais moi, je les ai vu avec.

[Un clavier tape… « Daniel et Annick Montbailly, habitants d’Ouessant]

26:20 [Daniel Montbailly] Ah, bah, il payait pas son loyer parce qu’évidemment il avait plus d’argent.

[Annick Montbailly] Il y a eu une enquête certes qui a été fait et il été disculpé mais néanmoins, pour la population, il reste celui qui, certainement, a poussé ces personnes, enfin, on sait pas.

26:43 [Octave Broutard] Vous pensez qu’il a tué sa propriétaire ou pas ?

[Annick Montbailly] Moi j’y crois pas mais je sais que dans la population c’est très ancré, mais moi, je n’y crois pas.

[Daniel Montbailly] Et puis, bon, voilà. Après, il y a eu un tournant.

[Sons d’enfants et d’oiseaux.]

27:20 [Daniel Montbailly] Quand il travaillait, pour pouvoir faire nos murs, j’estimais qu’à cinquante ans, faire le travail qu’il effectuait, ne répondait pas au travail d’un être humain normal. Parce que le corps humain n’est pas fait pour soulever des pierres comme il le faisait. Et puis il est arrivé ce qu’il devait se passer, c’est que, il a eu des problèmes à la colonne vertébrale qui ne le permettait plus de pouvoir faire ce qu’il faisait auparavant. Et il surmontait tout cela il voulait ne rien montrer à l’extérieur et continuer comme il faisait avant. Il y avait une espèce de, je veux dire, de déification de sa personne: la souffrance, ça se domine, il est au-dessus de tout ça et il continue, il continue.

[Une porte de voiture qui claque.]

28:22 [Annick Montbailly] Oh bah là, vous reprenez la route de Lampaul.

[Octave Broutard] Vous aviez quand même une idée de l’endroit où on a trouvé son corps ?

[Daniel Montbailly] Non pas du tout.

[Annick Montbailly] Ah bah si.

[Daniel Montbailly] Bah je sais que c’est sur la côte du Sud. C’est tout que je sais.

[Annick Montbailly] Et sur Locqueltas.

[Daniel Montbailly] Et du côté du fort.

28:58 [Paul Jezequel] Mais enfin je pense qu’il était aux abois et qu’il n’avait plus d’argent puisqu’il n’avait plus de travail et il a voulu récupérer de l’argent, bon, c’était pas sous l’emprise de l’alcool, je pense qu’il ne buvait pas d’alcool ce monsieur, et quelle drôle d’idée, d’ailleurs, d’aller braquer une banque à Ouessant, sachant très bien qu’il ne peut aller nul part.

[Iolande Botquelen] Si bien qu’un jour, eh bien, la banque lui ayant fermé son compte, donc sans l’avertir, en fait, et donc quand il est allé à la banque pour dire que, donc voilà, il se retrouvait dans une situation qu’il n’appréciait pas du tout, donc, la personne qui se trouvait là, l’employée, lui a dit qu’elle ne pouvait rien faire. Donc, il a exigé de récupérer le reste, le solde de son compte. Comme elle n’obtempérait pas, il l’a rattrapée, il a récupéré donc ses quatre-cents euros ou quelque chose comme ça et il est parti. Donc, l’employée hurlait au braquage, machin, et donc la rumeur est partie et de là, a fait un très grand tour, disons, le tour de l’île et a beaucoup miné Pascal, qui s’attendait pas ça et, disons, que c’était, il était beau de nature, il n’aurait pas pu imaginer qu’on aille raconter qu’il ait braqué une banque.

30:30 [Daniel Montbailly] Non, il n’y a eu pas de braquage du tout, ça, c’est, on va rentrer dans la légende, non, il n’y a pas eu de braquage. Donc, plus de travail, plus d’argent. Mais alors il en avait à la banque, et alors, qu’il était client depuis des années qu’il était connu comme, on peut dire, le loup blanc, et bien on lui demande qui il est, en lui demandant de présenter une carte d’identité et… il refuse. Il a son chéquier, il présente son chéquier pour avoir de l’argent et ils refusent. Alors il est retourné évidemment bredouille.

31:20 [Un autre homme] Un manque d’amour, manque d’argent, souffrance physique, non reconnaissance de sa personne au niveau de la banque, alors qu’il a l’argent et, bien, là, je ne sais pas, s’il a disjoncté, je peux pas dire ça mais, en langage ordinaire, on dirait il a disjoncté, il a pété un plomb, voilà, la personne n’a pas voulu, il est passé derrière le comptoir, il a saisi l’argent, la dame elle n’a pas voulu, il l’aurait pris par les cheveux, l’aurait traîné dehors. À Ouessant, on ne peut pas voler, tout de suite on est pris. Et il le savait.

[Son du vent et des vagues, goélands, canards. Voix. Rires.]

35:00 [Voix d’une femme] La presse s’en est mêlée, la population, les réseaux sociaux, ça, c’est important donc, et, voilà, ça a été très dur et à partir dès là, alors, on s’est pas contenté de ça parce que bon, du coup, c’était devenu un braqueur et on s’est dit, « Ah il a peut-être aussi, c’est peut-être lui aussi qui a assassiné sa propriétaire et sa fille. »

35:45 [Hervé Chambonnière] Et après, moi, pour ce que j’ai pu, j’ai pas fait d’enquête approfondie là-dessus, mais le parquet, les gendarmes que j’ai pu consulter m’ont tous dit c’était invraisemblable, et qu’ils avaient enquêté et que pour eux, c’était accidentelle.

La solitude, la vie sur une île, l’intégration, peut-être justement de tous ceux qui peuvent paraître étranger, voilà, si tu es pas de Ouessant, tu peux y venir mais est-ce-que tu peux t’y installer ? C’est ça, en fait tous les rapports humains sont un peu exacerbés, tout prend des proportions beaucoup plus importante que la réalité et quand quelqu’un commence à être ostracisé, il y a un espèce de force qui se met en branle et qui même si il y a des rumeurs qui viennent se greffer, c’est un peu comme si il fallait rejeter ce corps étranger, voilà tout, donc s’amplifie en fait.

[Sons d’oiseaux et de corbeaux.]

37:06 La personne Pascal Gosselin a été condamné avec le braquage, enfin ce qu’on a appelé un braquage, et il avait une interdiction de séjour qui avait été prononcé de cinq ans mais il avait fait un appel. En six mois, c’est la descente en enfer pour cette personne, quoi.

[Son d’oiseaux.]

37:40 [Daniel Montbailly] Si ça avait été un Ouessantin, jamais on n’en aurait parlé, jamais… Ça a été un appel aux secours, ça c’est de toute évidence, et cet acte va être juger évidemment par la population pour l’exclure.  On en veut plus, faut qu’il s’en aille.

38:08 Il est allé devant le juge puis il a été condamné sévèrement. Interdiction de fréquenter le bourg. Donc il se sentait réellement exclu et parce qu’on va parler maintenant des travaux qui n’ont pas été terminés.

[Voix d’hommes, son des cloches qui donne l’heure.]

39:00 [Hervé Chambonnière] C’était quelqu’un qui était épris de liberté, alors, à Ouessant on peut dire que à Ouessant on est battu par les vents, un sentiment d’extrême liberté et à côté de ça, il y a quand même ces coutumes qui peuvent, au contraire, apparaître comme des contraintes plus au moins fortes, eh. Ce qu’on disait sur ses chiens, il avait deux chiens qu’il aimait énormément et pour lui, comme les hommes, les chiens devraient pouvoir se déplacer librement, sauf qu’on est à Ouessant, et sur Ouessant il y a beaucoup de moutons et donc on ne laisse pas les chiens. Donc ça a créé beaucoup de problèmes semble-t-il avec des propriétaires des moutons entre autres. Et puis, aussi, par rapport à ses travaux, alors, il bossait extrêmement bien, il était assez cher mais c’est son droit, mais voilà, ça a créé quand même des problèmes et il y a des gens qui essayaient de ne pas payer entièrement. Bon, voilà, il y a tout ça, tout ce puzzle qui s’est mis en place.

40:15 [Octave Broutard] Comment vous expliquez qu’il ait pu tuer ses chiens ?

[Daniel Montbailly] Tuer ? Ah, moi, j’ai pas vu ça. Moi, pour moi, je ne sais pas. Je suis surpris que les chiens, qu’est ce, que sont-ils devenus, je ne sais pas, à priori ils sont morts là puisqu’on en entend plus parler.

[Annick Montbailly] Pour moi, je pense que les chiens sont morts aussi et je ne comprends pas effectivement, moi, j’ai pensé qu’il les avait empoisonnés, qu’il a fait quelque chose, mais qu’il n’allait pas laisser son chien brûler vif. C’était pas possible, pas possible.

[Daniel Montbailly] Ah mais les poissons, c’est pareil. C’était pour lui sa vie, puis les chats.

[Annick Montbailly] Il a tout détruit de toute façon en partant.

[Daniel Montbailly] … les chats, tout était détruit, donc on peut que penser que tous ses animaux, tout ce qui pouvait vivre autour de lui, il a éteint toute vie, il a éteint toute vie.

[Annick Montbailly] Tout ce qu’il aimait.

[Daniel Montbailly] Tout ce qu’il aimait. Voilà. Il pouvait pas laisser quelque chose à qui que ce soit de vivant.

[Son des flammes et des vents.]

41:56 [Voisine] La veille des incendies multiples il m’appelé pour me dire il avait quelque chose pour moi et, donc, il est venu m’apporter une caisse et dans cette caisse il y avait une centaine de DVD et lecteur DVD donc et je lui ai dit « Pourquoi tu m’apportes ça ?», il me dit, « Parce que je ne vais pas en avoir l’utilité et de toute façon il faudra que je libère mon logement puisque la gendarmerie vient demain pour m’expulser puisque ça fait deux ans que je n’ai pas payé mon loyer donc c’est normal que je m’en aille. »

[Son des flammes.]

42:46 [Daniel Montbailly] Il nous avait dit qu’il ne voulait pas quitter Ouessant, pour lui c’était sa terre de liberté, quelle issue avait-il ?

43:02 [Annick Montbailly] Un an avant que le drame ne se passe, il était à la maison et il n’était pas bien, on discutait et il a dit qu’il n’avait plus rien à faire sur cette terre que de toute façon, pour lui, il ne pouvait se raccrocher à rien, et tous les deux on lui a dit, « Mais Pascal vous avez quand même votre maman, vous pouvez pas faire des choses comme ça » et il s’est mis à pleurer. Et c’est vrai que lorsque, on l’avait vu le quatre juillet à la maison, et d’habitude quand il vient il nous fait toujours les bises et il m’embrassait et puis quand il repartait, c’était, j’allais le revoir et donc par conséquent il y avait pas de bisous et le quatre juillet il m’a embrassé en partant. Moi, ça m’a inquiétée.

44:00 [Daniel Montbailly] Il avait pas d’issue, il avait pas d’issue.

[Son des vagues.]

44:42 [Hervé Chambonnière] C’est deux rocs qui sont, qui se sont percutés en fait, lui avait son caractère entier, il ya le reste de la population, que peut une personne qui veut pas s’intégrer face à des personnes qui ont la..., c’est normal, leur propre code, leur propre mode de vie. On peut vivre à coté, il faut faire avec, il faut faire avec les Ouessantins, quoi.

45:24 [Octave Broutard] Vous saviez qu’il faisait des vidéos depuis ses avions en modélisme ?

43:30 [Daniel Montbailly] Alors, oui, il devait en faire, mais alors là, je me rappelle plus si j’ai vu ça. Parce qu’il aimait bien montrer.

[Octave Broutard] J’ai retrouvé une vidéo sur l’Internet, justement, qu’il a réalisé.

[Les deux] Ah, bon ?

[Octave] … et que je voulais vous montrer, du coup.

[Ils regard ce vidéo en parlant… (encore disponible sur Vimeo)]

[Daniel Montbailly] Ça Plane Pour Moi, c’est son titre ? Oui.

[Annick Montbailly] [inaudible] Avec sa voiture rouge. Mais ça va ???

46:15 [Annick Montbailly] Il se tenait bien hauteur sur les rochers, il veut dominer.

[Daniel Montbailly] Ah bah oui, il y avait du vent. Il le contrôle, il est téléguideé son avion.

47:03 C’est majestueux. C’est fantastique. C’est beau. Il tient, quelle science il avait. Un homme remarquable. On voit ses animaux en liberté. Moi, je vais vous dire, pour moi, c’était un enfant. C’était pour moi un enfant.

[Annick Montbailly] Oh, avec un coucher de soleil, sur Pern. C’est beau. Ça doit être là, c’est du côté où il a du, finir sa vie.

[Daniel Montbailly] Surement.

[Annick Montbailly] C’est toutes ces buttes.

[Daniel Montbailly] Ouais.

[Sons de pas sur le littoral, broussailles.]

48:48 [Hervé Chambonnière] On l’a retrouvé adossé à une pierre, en regardant, en face à la mer. Et, bien, c’est, c’est, c’est sidérant, enfin c’est… Le degré de la violence aussi avec lequel ça ce, parce que ça ressemble quand même à une furieuse vengeance, une tempête, eh, la tempête Gosselin. C’était extrêmement préparé, planifié, orchestré, délibéré. Voilà.

[Sons des vagues, d’oiseaux, pas.]

49:50 [Iolande Botquelen] Eh, bien, ça c’est terminé face à la mer, voilà, il s’est donné la mort, donc, il est allé là où il aimait regarder la mer, c’est à dire à la pointe de Pern, où il faisait beaucoup de modélisme, de photos avec ses planeurs, il s’est installé donc face à la mer, il s’est ouvert les veines, et il s’est poignardé, tout en écoutant la musique, avec un casque sur les oreilles, le dos contre un rocher.

50:35 [Daniel Montbailly] Tout le monde pense la même chose et personne ne le dit quoi. Mais quoi, je ne sais pas.

50:58 [Iolande Botquelen] Il avait un blog mais il a tout supprimé. Le blog s’appelait ‘granpasc’ et il n’y a plus rien. Parce que ‘grand Pascal’.

[Octave Broutard] Mais est-ce que vous savez pourquoi il était si solitaire ?

[Paul Jezequel] La peur. La peur de l’autre. Il avait peut être peur de lui-même. Peur de lui-même, peur de sa force. Peur. Peur d’être rejeté. Et il l’était.

52:30 [Alain, le gardien de chèvres] Diour !

[Alain, le gardien de chèvres] Elles, pour les faire venir, des biscottes, du pain. En principe, elles devraient revenir, mais bon.  Et la petite Pepita, qui est devant. Donc, c’est mes filles. Elles sont où ? On dirait qu’elles surveillent. Je ne sais pas ce qu’elles ont. Ça regarde. Il y a quelque chose qui les gêne, qui doit les intriguer.

53:01 [Bruit de clavier… « Alain, le gardien de chèvres. »]

[Alain] La première fois qu’on l’avait vu, c’était là-haut. Et il était sur ce rocher, là. Il était bien couché, il était là. Il y a déjà deux ans.

[Octave Broutard] Toi, tu jamais avais de problèmes avec lui ?

[Alain] Avec lui ? Aucun problème, aucun problème. Il me parlait assez souvent, parce que bon, avec les biquettes, et tout, il aimait bien les biquettes et puis là, c’était son coin, là, pour faire son kitesurf, là, c’était, il venait dans ce secteur. Et ce chemin, il aimait ce chemin là. Mais bon, la vie, elle en a décidé autrement.

54:00 J’ai cherché une biquette qui était morte, elle se cache à chaque fois un peu comme les oiseaux.  Elle se cache, déjà elle quitte le troupeau. Ça c’est jamais bon signe. On sent déjà que la bête est affaiblie et puis là, elle a été mourut dans ce secteur. Alors je vais la chercher, et il y avait trois personnes là qui étaient en train de piqueniquer. Je leur demande de l’aide, je les ai dit « si vous pouviez me donner un petit coup de main, on va débarrasser la biquette et la mettre derrière d’un rocher » et il me dit « Ya pas de problème ». Et puis ils me disent « On est intrigué, il y a quelque chose qui est couché et qui ne bouge pas, en face ». Donc on descend par-là, par-là, par-là on descend et qu’est qu’on voit que c’était mon Pascal qui, il s’était suicidé. Tu veux qu’on y aille ?

[Son des vagues et des pas.]

55:32 Attention pas glisser parce que c’est pas le moment de se casser la margoulette, là.

55:52 Voilà c’était là. Il était allongé, le dos appuyé, la tête appuyée sur le, ici, là.  Voilà, voilà l’histoire de Pascal s’est malheureusement terminé ici. Il s’est enfoncé ça, son genre de sabre japonais. Qu’il se l’ait enfoncé dans le cœur, il faut quand même, un sacré courage comme on dit, pour en finir comme ça. Je pense qu’il était apaisé. Il était, les jambes allongées, son sabre sur le côté, il avait des écouteurs dans les oreilles et il saignait au niveau des oreilles. On voyait s’écoulé là, on voyait encore des trace de sang, des traces de sang. C’est resté un moment, le sang était resté un moment. Mais ça était fini, eh. Et son visage, le, comme on dit, le visage de la mort, il était tout blanc, blanc, blanc, blanc, cireux. La mort quoi.

Il en avait fini, quoi. Le pauvre Pascal.

[Sons des vents, des vagues. Un silence subite.]

58:56 [Voix d’un homme] Ouessant, le vent et son sang. Avec Hervé Chambonnière, Paul Jezequel, Iolande Botquelen, Daniel Montbailly, Annick Montbailly, Alain Maffrand, dit « Alain le gardien de chèvres », et Louis Le Gall, dit « P’tit Louis »

La Fin